Entretien avec Charles Abelé, octobre 2003
(extrait de la Lettre de la F.AAGE n°8)
— Abelé Shihan, quel est le sens de l’étiquette dans un dojo ?
— L’étiquette, si on doit définir ce terme, représente l’ensemble des règles qui régissent les rapports d’individus entre eux dans un cadre donné. Au sein d’un dojo, elle permet à la fois de structurer l’enseignement qui y est donné et de se préciser dans la relation à l’autre. Elle donne au lieu un sens sacré. Le lieu devient non-dangereux. Chacun peut y donner quelque chose de profond.
— Certains peuvent parfois trouver la règle par trop contraignante. Que pouvez-vous leur répondre ?
— L’étiquette est avant tout une structure destinée à donner de la liberté. Le problème n’est pas d’accepter ou de rejeter la règle car alors on s’arrête à l’aspect extérieur des choses. La règle n’a de sens qu’à partir du moment où on passe au-delà de la forme extérieure. La notion d’Aïkido est indissociable de la notion d’étiquette. La technique d’Aïkido correspond à la forme externe de l’étiquette mais la finalité en est la même. Toutes deux (technique et étiquette) permettent de faire le lien avec les autres et donc avec soi-même. Prenez le salut, par exemple : saluer, c’est s’incliner devant ce qui est essenti?????el dans l’autre et, par conséquent, en soi-même.
— Ne faudrait-il pas alors expliquer le sens de ces règles aux arrivants ?
— Il faut permettre à tous les pratiquants
d’expérimenter, tant les techniques que les règles.
On ne peut rien justifier. Il faut laisser aux débutants cet
espace de recherche et de questionnement. Ensuite, ils pourront poser
ces questions à l’enseignant ou aux anciens. Cela permet
également de mettre la verticalité en place dans le dojo.
En Aïkido, l’étiquette est issue de la tradition japonaise.
Elle fait appel à des références qui, en Occident
peuvent nous sembler décalées. Pourtant, au sein de l’AAGE,
la volonté est de garder l’aspect de la tradition orientale
telle qu’elle nous a été transmise (par Kobayashi
Senseï). C’est là l’importance de l’étiquette
telle que nous la pratiquons. Le fait d’expérimenter une
tradition différente permet en outre de faire lâcher les
références personnelles de chacun. C’est indispensable
si on souhaite « se remplir » de choses nouvelles. Il faut
se vider, lâcher ses propres repères, sa propre matière.
Quand le cadre est en place, l’essence peut apparaître.
L’étiquette permet aussi de se référer sans
cesse à un esprit de NON-OPPOSITION. Elle gère le conflit,
canalisant la violence dans l’engagement au respect du cadre.
L’étiquette propose également la possibilité
de ressentir l’essence d’une forme. En la pratiquant, la
travaillant, la répétant, on en reçoit d’une
part un enseignement direct, et d’autre part, on nourrit la forme
en donnant sa pratique et sa compréhension. En Aïkido, nous
utilisons la règle en intégrant la notion de DEVOIR qui
dépasse la notion de POUVOIR. Elle précise et propose
la pratique du SERVICE. L’étiquette est un point de repère,
une référence commune avec laquelle nous réglons
continuellement notre rapport. Trop de dureté nuit à la
pratique, la négligence disperse et ne nous donne pas accès
à l’esprit de l’AIKIDO.
Essentiellement, il faut dire que l’étiquette propose la
VERTICALISATION : notion indispensable pour la pratique, dans un contexte
de respect et d’évolution des individus.
L’étiquette, parce qu’elle circonscrit notre travail,
nous permet d’accéder à un espace de création
et donc de liberté. En mettant la matière en place, l’esprit
peut alors se développer.
— Et la transgression de la règle ?
— Elle suppose une sublimation, c’est-à-dire une intériorisation complète de la règle.
Abelé Shihan
octobre 2003