Dix ans
(extrait de la Lettre de la F.AAGE n°13)
Week-end commun à Kehl, 16 et 17 décembre 2005.
Au cours d'un moment ouvert à la parole, on parle d'anniversaire, des
10 ans de l'école. Pour ceux qui ont connu sa naissance, qui ont vécu
ces dix années, c'est un événement marquant, sans doute émouvant : l'école,
ils l'ont construite, ils l'ont aidée à grandir. Mais pour ceux qui
arrivent, qu'est-ce que cela peut représenter ?
À un autre de ces moments de parole, une question d'Abelé Shihan : quelle
est, pour vous, la différence entre enseigner et transmettre ?
Tentatives de réponse, on tourne autour des mots. enseigner, c'est former
quelqu'un, lui apporter des connaissances, des méthodes, lui donner
de soi, aussi. Transmettre, c'est donner à quelqu'un quelque chose que
vous avez vous-même reçu, dont vous êtes seulement dépositaire : étymologiquement,
trans-mittere, c'est "envoyer à travers" ; ce qu'on transmet, c'est
un message - même origine étymologique : "ce qui est envoyé" - quels
qu'en soient la forme et le contenu. Celui qui transmet est un relais,
un maillon dans une chaîne ; sa responsabilité : préserver l'intégrité
de ce qu'il a reçu, transmettre intact.
L'école : un lieu d'enseignement et un lieu de transmission. Ce qui
nous est donné, ce qui nous est transmis. des réponses apportées aux
questions que nous posons, ou que nous ne posons pas, mais qui sont
au fond de nous. Une évidence : beaucoup de ces réponses ne peuvent
être apportées que peu à peu, par la pratique. À nous, non pas de renoncer
à comprendre, mais d'accepter de recevoir ce qu'on ne comprend pas comme
une pièce - précieuse - d'un puzzle qui prend sens peu à peu, parfois
insensiblement, de façon paisible, parfois en une fulgurance qui éblouit
comme un éclair d'orage dans la nuit.
Et la transmission mobilise deux acteurs : celui qui donne, bien sûr,
ô combien fondamental, mais aussi celui qui reçoit, et qui est tout
sauf un réceptacle passif. "On ne peut donner qu'à celui qui demande",
me suisje entendu dire par quelqu'un que je remerciais de ce qu'il m'avait
apporté.
Je mets sans doute mon enseignant - et pas seulement lui - à rude épreuve
; et c'est peut-être pour cela que j'ai le sentiment d'avoir, déjà,
beaucoup reçu. y compris beaucoup de pièces qui attendent de prendre
sens, qui prendront sens un jour.
Mais peut-on s'arrêter à l'enseignant ? À partir du moment où il se
reconnaît comme tel, chaque élève prend place dans la filiation, dans
une lignée de transmission. Et tôt ou tard se pose à lui la question
de l'origine de ce qu'il reçoit et avec quoi il se construit : d'où
vient notre école ? Quels sont ses liens avec les autres écoles ? Quelles
sont leurs origines communes ? Quelle est la spécificité de chacune
? Nous avons tous besoin de racines. Le futur par définition n'existe
pas ; comme l'horizon, il recule à mesure qu'il entre dans ce présent
mouvant que nous créons et qui meurt à chaque instant. Le passé seul
est solide ; fondement de notre identité, c'est le socle sur lequel
nous nous appuyons pour regarder devant nous.
Fêter les dix ans de notre école, pour les anciens, c'est affirmer sa
vitalité, et mesurer le chemin parcouru pendant ces dix années.
Pour ceux qui arrivent, c'est une occasion de s'interroger, et donc
de commencer à trouver des réponses : d'où venons-nous ?
Pour tous, c'est un moment privilégié de partage de ce que nous avons
en commun, pour continuer à avancer ensemble.
Martine Chéradame
hiver 2006